Mémoire à Intervalles
C'est aux alentours de 12 h que je suis arrivée au Carrefour de la mer, à Caraquet (Nouveau-Brunswick) le 12 septembre 2024... Je n'avais pas encore stationné mon véhicule que j'avais aussitôt repéré la petite roulotte un peu vintage, blanche et turquoise, de l'artiste Michèle Bouchard avec qui j'espérais avoir la chance de dîner avant que ne commence officiellement ma résidence de recherche et création de quatre jours à l'occasion de l'événement Intervalles organisé par la Société culturelle Cent'art. Michèle était sur les lieux pour une résidence aussi, à la différence que la sienne avait débuté une semaine plus tôt dans et avec sa roulotte convertie de façon permanente en une sorte d'atelier mobile de création et de médiation qu'elle nomme La mandibule. Se rencontrer avait été facile, il faisait beau, l'air salin ravigotait, et il en serait ainsi pendant toute la durée de l'événement.
Intervalles est un événement artistique inter et multidisciplinaire qui est scindé en plusieurs fins de semaine. Sa programmation est extrêmement diversifiée et inclut des ateliers, des visites de groupe d'étudiants, des résidences, de l'animation, des tables rondes et des projections. Chaque édition a sa thématique et les artistes sont sélectionnés en correspondance avec leur pratique actuelle et en fonction de ce qu'ils ont à offrir.
Pour Intervalles, c'est le processus de création qui compte. La prise de risque est vue comme une nécessité humaine qui peut être aussi bien intentionnelle ou involontaire qu'individuelle ou collective.
Le samedi dès 18 h et jusqu'à 21 h, les artistes, une douzaine, s'emparent de l'espace public. C'est le moment de la Création au rythme du soleil couchant. Cette grande célébration de la créativité et de son processus en est aussi une du cycle de la vie. D'ailleurs, tout cela n'est-il pas intrinsèquement lié? Et n'y a-t-il pas là un état commun de fragilité permanente? Toujours est-il qu'il y a prétexte pour l'artiste à se libérer. Il peut s'aventurer dans une direction nouvelle et imprévue s'il le désire ou encore explorer une technique pour la première fois.
En collaboration avec le Festival acadien de poésie
La Mémoire échappée et l'intangible constituaient le thème de la deuxième et dernière fin de semaine de la 4e édition de cet événement à laquelle on m'avait conviée. Jusqu'au 15 septembre j'ai ainsi occupé une cabane sur le quai des artistes. Ma petite cabane était jaune et disposée en rangée avec d'autres petites cabanes rouge, bleue ou verte occupées par d'autres artistes... Derrière elles, il y avait le ressac de la mer et sa marina et devant, le va-et-vient des habitués ou des touristes qui jetaient un coup d'œil furtif ou s'arrêtaient intéressés sous la surveillance constante d'une sentinelle de mouettes géantes.
Mon projet de résidence s'inscrivait en continuité avec une réflexion sur la fragilité de la cohabitation et a impliqué une superposition de différentes techniques de l'estampe afin d'évoquer l'usure et la trace. Pour me guider dans mes explorations, j'ai fait appel à la mémoire sensorielle et je me suis inspirée de l'impression de déjà-vu afin d'illustrer une réalité altérée par le chevauchement de situations actuelles et de souvenirs décalés. Plus simplement, je me suis intéressée pas tant à nos trous de mémoire, mais plutôt à ce avec quoi on les remplit. À la manière d'une histoire de pêche, j'ai construit de nouvelles versions de vieux souvenirs issues de combinaisons et d'emprunts susceptibles de les amplifier. Pour support et pour matière, j'ai utilisé des boîtes de carton. Plusieurs raisons motivaient ce choix, des raisons pratiques, écologiques, voire symboliques. Au-delà de leur contenu, les boîtes de carton portent une histoire, sont faciles à récupérer et biodégradables. Imprégnée par la lecture récente d'un texte sur les savoirs indisciplinés publié dans la revue Vie des arts, j'ai tenté de faire de ma recherche une création en investissant l'endroit de mots en résonnance avec le sujet de mon projet.